L’activité cyclonique 2023-24 s’annonce réduite par rapport à la normale saisonnière, mais le phénomène El Nino, qui a (re)pointé son nez depuis avril de cette année dans le Pacifique, ne fait qu’amplifier l’incertitude quant aux catastrophes qui nous guettent cette saison. La station météorologique de Vacoas a déjà tiré la sonnette d’alarme dans son dernier bulletin. De nouveaux records de chaleur, par exemple, ne sont pas à écarter. En même temps, les scientifiques appréhendent les pires scénarios sur la base d’effets combinés des phénomènes El Nino et Dipôle océan Indien subtropical, et ceux du réchauffement climatique dans la région, comme dans le monde. Décryptage.
Que nous réserve l’été 2023-2024 ? Commençons par le « Summer Outlook » de la station météo de Vacoas, bulletin qu’elle publie chaque année à l’arrivée de la nouvelle saison. Un exercice courant, dirions-nous, à la différence que ce dernier document annonce, cette année, des phénomènes météorologiques extrêmes auxquels nous n’étions pas encore habitués, à l’instar des vagues de chaleurs atteignant des pics de 36 degrés. Ajouté à cela, des mini tornades, nouveau terme météorologique auquel nous devrions nous habituer maintenant que « pluie torrentielle et inondation » sont bien intégrés dans notre jargon aussi bien que notre quotidien.
Qui dit saison estivale, dit saison cyclonique. Les dernières tendances suggèrent, en effet, une activité cyclonique inférieure à la normale saisonnière. Les météorologues estiment qu’entre 5 et 8 systèmes (tempêtes et cyclones), avec 2 à 4 d’entre eux atteignant le stade de cyclone tropical, pourraient se développer. A partir de la mi-janvier, une activité un peu plus soutenue est envisagée au nord et au nord-est des Mascareignes avec des phénomènes cycloniques se déplaçant majoritairement vers le Sud ou le sud-est.
Mais qui dit moins de cyclones, dit également épisodes de chaleur prolongés. Ce qui laisse penser qu’un été des plus torrides se prépare avec des taux d’humidité, de température et de pluviométrie supérieurs élevés, le tout, entrecoupé de scénarios qui sortent de l’ordinaire. La preuve est, que les deux premières semaines de la saison estivale (novembre) ont été marquées par des pluies torrentielles, alors que celles-ci se manifestent d’habitude au début de la nouvelle année.
Même si tout cela comporte une grosse part d’incertitude, France Météo, dans son dernier bulletin, confirme que « c’est un paysage de fond diamétralement opposé à celui de l’année dernière, qui s’installe pour l’été austral 2023-2024 ! »
Depuis que El Nino a refait son apparition dans le Pacifique, et un deuxième phénomène connu comme l’Indian Ocean Dipole (IOD), les pires scénarios sont envisagés. La station de Vacoas évoque ces phénomènes dans son introduction : « the behaviour of meteorological and oceanic parameters such as El Nino Southern Oscillation (ENSO), Indian Ocean Dipole (IOD) and the behaviour of meteorological and oceanic parameters in analogue years have been utilised to generate the most likely scenario for the 2023-2024 Southwest Indian Ocean summer ».
À en croire les dernières tendances, la hausse de température dans le pacifique poursuivra sa montée en puissance ces prochains mois. Il y a donc le potentiel pour observer un El Nino de forte intensité. Le dernier El Nino de grande ampleur remonte à 2015/2016. Malgré un épisode cyclonique exceptionnel avec le cyclone très intense, Fantala, l’activité a été effectivement en retrait par rapport aux normes saisonnières. De plus, cette saison s’était déroulée dans un contexte de dipôle océan indien subtropical (DSOI) fortement positif. Ce qui laisse penser qu’un scénario similaire n’est pas à écarter, n’onobstant le fait qu’un mélange des deux phénomènes climatiques équivaudrait à un cocktail résolument dangereux.
Le phénomène El Niño sera-t-il aussi extrême que le redoutent les scientifiques ?
Au niveau global, l’épisode La Nina dans le Pacifique équatorial initié en 2020, s’est estompé en mars 2023. Depuis, c’est le phénomène El Niño, qui s’est mis en place. Les eaux du Pacifique équatorial est sont actuellement beaucoup plus chaudes que la normale et cette anomalie océanique se répercute par des modifications de la circulation atmosphérique et océanique au niveau global, notamment dans les régions tropicales. « L’épisode en cours est prévu d’atteindre son pic en décembre ou en janvier avant de lentement décliner ensuite. Il s’agit potentiellement d’un épisode de forte amplitude, comparable aux évènements de 2015-2016, 1997-1998 ou 1982-1983. Son influence sur les circulations océaniques et atmosphériques est prévue de perdurer sur l’ensemble de l’été austral », souligne météo France.
Comme le fait remarquer France Météo, les effets de El Nino sont déjà ressentis dans le Pacifique. L’alerte a officiellement été lancée par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) en juillet de cette année : « pour la première fois depuis sept ans, des conditions El Niño se sont développées dans le Pacifique tropical, ouvrant la voie à une hausse probable des températures mondiales et à des perturbations des conditions météorologiques et climatiques. »
L’OMM confirme non seulement ces prévisions, mais estime avec quasi-certitude que la période 2023-2027 sera la plus chaude jamais enregistrée sur terre, conséquence combinée d’El Nino et du réchauffement climatique. Selon les données disponibles, les températures moyennes à la surface de la mer ont atteint 21 °C à la fin du mois de mars et sont restées à des niveaux records pendant des mois.
Par ailleurs, dans un article intitulé « Le changement climatique se rapproche du point de non-retour », l’agence Reuters rapporte, en juillet dernier, que l’agence météorologique australienne a prévenu que les températures des océans Pacifique et Indien pourraient être supérieures de 3 °C à la normale, d’ici octobre. Ce qui indique que nous sommes déjà en plein dedans !
De plus, selon les rapports de l’OMM sur l’état du climat mondial, 2016 est l’année la plus chaude jamais enregistrée, en raison d’un épisode El Niño très puissant et d’un réchauffement d’origine humaine dû aux gaz à effet de serre. L’effet sur les températures mondiales se manifeste généralement dans l’année qui suit son développement et sera donc probablement plus apparent en 2024.
Toutefois, dans un avis publié le 9 novembre, le Service météorologique américain et l’agence des océans et de l’atmosphère (NOAA) estimaient qu’il y avait une chance sur deux (55%) que l’on côtoie un El Niño « fort » se prolongeant de janvier à mars, et deux chances sur trois pour que le phénomène, dans sa version « modérée », se poursuive d’avril à juin. Un El Niño « fort » se traduit par davantage d’événements météorologiques extrêmes.
COMPRENDRE LE PHÉNOMÈNE EL NINO
Le dernier El Nino de grande ampleur remonte à 2015/2016. Malgré un épisode cyclonique exceptionnel avec le cyclone très intense, Fantala, l’activité était en retrait par rapport aux normales saisonnières dans l’océan Indien. C’est quoi au juste El Nino ? Ce phénomène océanique se caractérise par le réchauffement d’un immense réservoir d’eau superficielle qui s’étend du Pacifique central jusqu’aux côtes du Pérou et de l’Equateur. Cette anomalie chaude de température de surface de la mer, de l’ordre de 4° à 6°, s’accompagne d’une interaction océan/atmosphère qui perturbe les courants marins, la position relative de l’équateur thermique, le régime des alizés et plus généralement, la circulation générale atmosphérique. Toute la ceinture tropicale du globe subit un bouleversement climatique qui provoque régionalement des précipitations intenses ou des périodes de sécheresse exceptionnelles.
Ces bouleversements climatiques ont des conséquences dramatiques sur l’environnement et sur l’activité humaine : on déplore la perte de milliers de vies humaines et des dégâts qui se chiffrent en milliards de dollars.
Avec celui des années 82/83, le phénomène El Nino 97/98 compte parmi les plus intenses du siècle. Entre avril 1997 et avril 1998, des inondations ont été signalées dans 41 pays tandis que 22 autres ont souffert de la sécheresse.
Des épisodes irréguliers
Les événements El Niño apparaissent d’une manière irrégulière, tous les 2 à 7 ans. Ces épisodes débutent en général en milieu d’année et durent de 6 à 18 mois. Ils atteignent leur intensité maximale vers Noël.
En 1997, un épisode El Niño très intense avait été observé, avec à la clef des impacts climatiques et sociétaux importants. Depuis, d’autres épisodes, d’importance moindre, se sont produits en 2002-2003, 2004-2005, 2006-2007 et 2009-2010.